La surveillance en Entreprise (1)
La sphère économique étant devenue un cadre de concurrence, les gens tentent ainsi de maximiser leur chiffre d’affaires dans le but de rester toujours compétitifs. Dès lors, on assiste au recrutement d’un personnel qualifié susceptible de maintenir le cap de la performance en développant les différentes activités conférées. Cependant, contre toute attente, il arrive d’assister à la rupture du rapport de confiance entre employeur et employé de sorte que des mesures préventives ou curatives soient prises pour pallier à toute déconvenue.
Ainsi, chaque partie tentera de jeter l’anathème sur l’autre pour ne pas se voir imputer la responsabilité. C’est ainsi que certains adoptent des procédés de manifestation de la vérité à travers des moyens “non conventionnels” au détriment de l’autre partie.
En effet, dans une récente affaire, un directeur de société que nous allons nommer ici Lexcyber, spécialisée dans la commercialisation de produits informatiques au Sénégal a constaté depuis quelques mois des manquants dans l’usine de stockage de certains produits informatiques, comme les cartouches, les clés USB, les disques et les tablettes numériques, etc…
A la suite d’une délibération favorable du Conseil d’administration de la société, le DG a mis en place un système de vidéosurveillance dans le magasin à l’insu des travailleurs. Ce système a permis d’identifier quatre salariés qui se livraient à des vols commis la nuit. Il a aussi fait installer des keyloggers dans les ordinateurs de deux délégués du personnel, qui a permis par l’accès à leurs messageries électroniques, de révéler que ces derniers faisaient parvenir par mail pendant les heures de travail, des bases de données à une société concurrente moyennant rémunération.
C’est ainsi qu’il a déposé une plainte à la Division spéciale de la Cybersécurité pour vol commis la nuit ; en même temps, il a notifié des lettres de licenciement aux quatre salariés, aux deux derniers, pour faute lourde. Précisons que pour le cas d’espèce, il ne s’agit nullement de cybercriminalité dans la mesure où l’infraction n’est commis ni via la technologie, ni à l’endroit d’un système informatique, donc la saisine de la division spéciale de Cybersécurité n’est pas pertinente. Aux chefs d’entreprises, il faut leur reconnaître le droit à la protection de leurs biens et services. Mais notons que l’installation de caméra de surveillance requiert des préalables aux fins de respecter la vie privée des salariés, elle n’est pas sans risque et ne se fait pas en fonction des humeur du Boss.
Les conséquences d’une installation irrégulière
La force probante des vidéos présentées tant durant l’instruction, qu’au cours des débats, voire l’utilisation même de la vidéo dans le procès pénal mérite d’être remise en question en l’absence d’un véritable cadre juridique. Les règles d’admissibilité de la preuve par vidéosurveillance, en particulier, souffrent d’une grande imprécision, surtout lorsque les images sont issues d’un système de traitement automatique de données. Il convient alors de s’interroger sur les règles qui doivent être respectées sur le plan de la collecte et de l’exploitation au regard des autorisations administratives et des droits fondamentaux.
Le principe selon lequel la preuve est libre en matière pénale, suppose une liberté dans la production de la preuve qui se traduit par l’admissibilité de tous les modes de preuve et permet au juge de recourir à tout moyen de preuve en l’absence de dispositions législatives contraires. Il en résulte que rien ne s’oppose, à ce qu’une vidéo qui filme une infraction constitue un mode de preuve admissible par le juge. C’est ainsi que l’installation de la vidéo surveillance à l’insu des travailleurs fût justifiée par : « l’existence de soupçons raisonnables que des irrégularités graves avaient été commises et l’ampleur des manques constatés en l’espèce » 17 Octobre 2019 CEDH. Par ailleurs, notons aussi que le juge peut ne pas en tenir compte d’ou l’importance de veiller à la régularité du système.
Au regard de ce qui précède, du préjudice subi, et du fait que le lieu surveillé est en fait un magasin ou en temps normal les travailleurs n’ont rien à y faire l’employeur est bien fondé dans sa politique de surveillance du magasin. Par ailleurs, la loi n° 2016–29 du 08 novembre 2016 modifiant la loi n° 65–60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal, dispose en son Article 431–14. « Celui qui, même par négligence, procède ou fait procéder à des traitements de données à caractère personnel sans avoir respecté les formalités préalables à leur mise en œuvre prévues par la loi sur les données à caractère personnel, est puni d’un emprisonnement d’un an à sept ans et d’une amende de 500 000 francs à 10.000.000 de francs ou de l’une de ces peines ».
Dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur a le droit de surveiller et de contrôler l’activité de ses salariés durant leur temps de travail. Les dispositifs de contrôle mis en place à cet effet doivent néanmoins respecter certaines normes car nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. Certaines règles doivent donc être respectées par l’employeur afin de rendre licite l’utilisation de ces dispositifs de contrôles.
Les conditions d’installation d’un système de vidéosurveillance
L’article 18 de la loi 2008–12 du 25 Janvier 2008 sur la protection des données à caractère personnelle consacre le régime de la déclaration. La déclaration des vidéos de surveillance au niveau de la CDP est une obligation. Cependant, la seule déclaration ne suffit pas, il faut qu’elle soit subordonnée de la remise d’un récépissé ; Les salariés doivent en outre être individuellement informés de l’installation de caméra de surveillance dans leur lieu de travail; lieu que la CDP avait définit en ces termes dans une délibération en 2016 “ Les lieux de travail renvoient aux locaux, bâtiments ou salles servant à l’exercice d’une activité professionnelle”. Sont considérés comme lieux de travail les bureaux fermés et les espaces de travail partagés ou « open space ». Le non-respect de ces obligations peut entraîner l’irrecevabilité des éléments relevés comme moyens de preuve visant à prouver le comportement fautif des salariés. Une autre décision vient étayer cette position ; l’employeur ne peut être autorisé à utiliser comme mode de preuve les enregistrements d’un système de vidéo-surveillance installé sur le site d’une société cliente permettant le contrôle de leur activité dont les intéressés n’ont pas été préalablement informés de l’existence : Cass.Soc.10 janvier 2012.
Ci-dessous nous avons l’exemple de EDK qui devrait mentionner le nom du responsable du système, le numéro de téléphone de la personne à contacter pour l’exercice du droit d’accès, mais c’est déjà un bon début.
Lorsque des données à caractère personnel sont collectées directement auprès de la personne concernée, le responsable du traitement doit fournir à celle-ci, au plus tard, lors de la collecte et quels que soient les moyens et supports employés, les informations suivantes :
l’identité du responsable du traitement et, le cas échéant, de son représentant
la ou les finalités déterminées du traitement auquel les données sont destinées ;
les catégories de données concernées ;
le ou les destinataires ou les catégories de destinataires auxquels les données sont susceptibles d’être communiquées ;
le fait de savoir si la réponse aux questions est obligatoire ou facultative ainsi que les conséquences éventuelles d’un défaut de réponse ;
le fait de pouvoir demander à ne plus figurer sur le fichier ;
l’existence d’un droit d’accès aux données la concernant et de rectification de ces données ;
la durée de conservation des données ;
le cas échéant, des transferts de données à caractère personnel envisagés à destination de l’étranger.
Pour revenir a notre cas nous sommes d’avis que le magasin peut ne pas être le lieu d’expression de la vie privée du salarié. En effet, c’est pourquoi il existe une exception à la condition relative à l’information préalable des salariés. Elle ne s’impose pas lorsque le dispositif est uniquement destiné à surveiller des locaux où les salariés n’ont pas accès et non au contrôle de leur activité : Cass.Soc.31 janvier 2001 ; Cass.Soc.19 avril 2005.
Cependant dans le cadre de l’installation des Keyloggers l’activité des salariés est visé et cela n’est pas sans conséquence sur la vie privée de ces derniers. C’est ce que nous verrons dans le prochain numéro.
Vos Avis, contributions, et positions contraires sont attendus. Nous répondrons à toutes vos questions dans la mesure du possible.
Gerard et Manou